L’hypothèse d’Haeckel et la co-évolution

Au 19e siècle, le biologiste allemand Ernst Haeckel formula une hypothèse audacieuse : “l’ontogénèse récapitule la phylogénèse”. En d’autres termes, le développement embryonnaire reproduirait, en accéléré, toute l’histoire de l’évolution des espèces.
Selon cette théorie, avant de naître, l’être humain traverserait toutes les étapes évolutives des espèces qui l’ont précédé.
Et si nous poussions cette réflexion plus loin en parlant d’une co-évolution avec l’ARN primordial ?

L’ARN : La première molécule de vie

Il y a environ 4 milliards d’années, dans les océans primitifs, probablement près des sources hydrothermales, les premières molécules d’ARN ont commencé à se former. L’hypothèse récente du “monde à ARN” suggère que cette molécule, capable à la fois de stocker l’information génétique et de catalyser des réactions chimiques, aurait été la toute première forme de vie sur Terre.

Progressivement, quelques centaines de millions d’années plus tard, l’ADN a été synthétisé à partir de l’ARN. Plus stable, l’ADN a pris en charge le stockage de l’information génétique sur le long terme, tandis que les protéines, plus polyvalentes, ont assumé le rôle catalytique. L’ARN est devenu l’intermédiaire indispensable entre l’ADN et les protéines. Sa réactivité et sa flexibilité en font toujours le messager idéal pour les fonctions temporaires et dynamiques de la cellule.

L’ARN durant le développement embryonnaire

Dès la fécondation, l’embryon utilise l’ARN maternel pour initier ses premières divisions cellulaires. Après deux jours, il commence à transcrire son propre ADN en ARN et entame sa différenciation cellulaire. Entre la 3e et la 8e semaine de gestation, la production d’ARN explose pour fabriquer les protéines nécessaires à la formation des organes, des neurones et de leurs connexions. Durant les deuxième et troisième trimestres, cette production devient continue pour assurer la différentiation et la croissance.

En même temps, le placenta produit également ses propres ARN pour réguler les échanges entre la mère et le fœtus, fabriquer les hormones de grossesse et protéger le fœtus du système immunitaire maternel. L’ARN n’intervient pas à un moment précis : il est actif à chaque instant, du premier jour jusqu’à la naissance. Sans ARN fonctionnel, le développement s’arrêterait immédiatement.

ARN et sommeil : Une relation vitale

Après la naissance, le sommeil joue un rôle crucial dans le fonctionnement de l’ARN. Durant le sommeil paradoxal, l’ARN favorise la production de protéines nécessaires à la myélinisation des axones et stabilise les connexions neuronales liées à l’apprentissage. Pendant le sommeil profond, les ARN endommagés, oxydés ou mal formés sont éliminés. La privation de sommeil provoque des dommages oxydatifs à l’ARN, perturbant la synthèse protéique et le fonctionnement cellulaire, ce qui explique les effets néfastes du manque de sommeil chronique.

Yoga et mémoire évolutive

Nous co-évoluons avec l’ARN depuis l’origine de la vie : il nous fabrique, nous maintient et nous permet de nous reproduire. Nous sommes le fruit d’une longue chaîne d’adaptations, portée par l’expérience des espèces et transmise par l’ARN.

La pratique du yoga pourrait être liée à cette co-évolution. Les asanas aux noms d’animaux du yoga traditionnel nous rappellent que notre ARN porte la mémoire de toutes les espèces à ARN apparues depuis 4 milliards d’années. Les postures les plus représentées — oiseaux, reptiles, mammifères — correspondent étrangement aux trois étapes que traverse l’embryon humain durant son développement.

Ces postures reflètent certainement l’observation de la nature par les yogis anciens, mais peut-être aussi quelque chose de plus profond et inconscient, lié à notre mémoire évolutive. D’autant plus que certaines pratiques yogiques associent à ces postures la “respiration embryonnaire” et un état de conscience de “témoin silencieux”, qui pourrait être celui de l’embryon, si nous admettons qu’il est doté de conscience.

Un des objectifs primordiaux des yogi est la resynchronisation et l’entrainement au «  lâcher prise » conscient et vespéral du corps physique, afin que ce dernier puisse sommeiller, apprendre et se réparer efficacement, la nuit. Serait-ce pour laisser agir l’ARN, omniscient en matière d’information, omnipotent en catalyse enzymatique et chef d’orchestre de milliers de réactions nécessaires à la vie ? La question reste ouverte, mais la réflexion est fascinante.